Je suis restée absente un long moment. Comme un besoin de silence. Je ne sais pas encore si la parole revient vraiment… Mais aujourd’hui elle est là, j’ai ce désir d’écrire alors me revoilà. Je n’étais pas totalement absente, je passais chez vous sur la pointe des pieds et repartais tout aussi discrètement… J’ai lu des textes époustouflants, j’ai pleuré, j’ai ri, je me suis associée à vos rebellions, j’ai craint avec vous ce totalitarisme insidieux qui grignote, j’ai envié vos talents…
Il y a bientôt un mois, j'ai vu un tag chez Valérie de haute savoie. Un petit truc tout bête : ouvrir le sixième dossier de ses images, sortir la sixième photo, en parler. Comme je suis un peu joueuse, j'ai regardé dans mes dossiers. C'était une photo de Manon. J'ai pensé alors que c'était peut-être le moment. Le moment d'essayer d'écrire le handicap. Et puis...«pas tout de suite, on verra demain, je ne trouve pas les mots, je ne sais pas par quoi commencer...»
Mais il y a deux jours, je vois le même tag chez Anita. Un peu philosophe à mes heures : «quand les choses doivent se faire, c’est pas la peine de fuir…, elles nous rattrapent». Alors voilà ...
Manon vient d’avoir vingt ans. Depuis six mois je suis tranquille pour elle. Elle a été admise dans un foyer pour adulte, elle y est bien, elle y a trouvé sa place, et je suis sûre qu’elle a là toutes les sollicitations qui vont la tirer vers le haut.
Parce que Manon, c’est une enfant handicapée mais c’est avant tout de l’énergie de vie. Et c’est comme ça depuis toujours . Elle a fait une mort subite retournée. Déjà, à ce moment là, elle n’a pas abandonné. Puis les médecins l’ont plongée dans un coma thérapeutique, j’en ai déjà parlé ici, et là non plus elle n’a pas abandonné. Quand elle avait deux ans, la neuropédiatre a annoncé qu’elle ne marcherait jamais, trois mois plus tard elle marchait. Et ça a toujours été comme ça. Beaucoup d’énergie et aussi une grande joie de vivre.
Être la maman de Manon, c'était mettre ma propre vie entre parenthèse, tout donner pour elle, m’oublier. C’était entre elle et moi la fusion totale. Jusqu’à ce qu’elle ait sept ans, je n’ai jamais voulu m’éloigner d’elle. Elle allait à l’école dans la journée et je m’occupais de toutes les rééducations le soir et le mercredi.
Puis j’ai fini par admettre qu’elle n’avait plus rien à faire dans une école maternelle, que le décalage avec les autres enfants n’était plus un bénéfice mais une nuisance. Elle devenait triste et ne s’insérait plus dans le groupe.
Alors, je me suis battue pour une place en établissement spécialisé, je l’ai choisi et j’ai fait en sorte qu’elle puisse y être admise rapidement. Les commissions éducation nationale ne proposaient que des listes d’attente. Alors, je suis passée autrement, par le secteur médical, et c’était réglé en deux mois.
Être parent d’un enfant handicapé c’est aussi se sentir souvent seul et être obligé de se battre pour connaître toutes les ficelles et faire avancer les dossiers. Les effets d’annonce sur le handicap ne sont pour beaucoup que des effets d’annonce…
Elle est donc rentrée dans un établissement à Toulouse à une heure de notre domicile. Une heure de taxi le matin, une heure le soir. Mais je me souviens qu’à cette époque là, on ne pouvait même pas me parler d’internat sans que les larmes montent.
J’ai tout de suite su que mon choix d’établissement avait été bon. Elle faisait d’énormes progrès et surtout, elle retrouvait sa joie de vivre.
Ce n’est que quand elle a eu treize ans que j’ai accepté qu’elle soit interne. Elle le souhaitait.
Je n’avais juste pas voulu voir qu’elle était comme tous les enfants, qu’elle avait besoin de couper le cordon, qu’elle avait besoin d’avoir sa vie sociale rien qu’à elle, ses jardins secrets.
Je me dis que bien souvent, elle a réussi à avancer malgré moi.
Aujourd’hui je ne la vois qu’un week-end end sur deux. Mais je la vois heureuse. Elle me surprend toujours. Elle a toujours cette volonté d’avancer, ce désir de connaître. Elle aime les gens et entre facilement en relation. Elle a un humour extraordinaire. Elle n’est jamais freinée par les conventions. Elle a une immense tendresse pour ceux qui l’aiment et elle l’exprime sans tabous. Elle nous donne des grandes leçons de vie.
Aujourd’hui la maman de Manon peut dire que le parcours a été un peu difficile, mais que ces difficultés là ne sont que des détails. Être la maman de Manon, c’est du bonheur avant tout.
4 commentaires:
Moi aussi, je passe et repasse sur la pointe des pieds depuis ce matin, cherchant mes mots. Difficile de dire, difficile de ne rien dire quand la porte est entrouverte, quand on pense à ce parcours. Juste embrasser Manon et sa maman.
En fait, je suis épatée par la force de vie de Manon, la joie, la passion qui jaillissent d'elle, ce désir constant d'aller de l'avant et que tu retransmets si bien. Un très beau portrait de vous deux.
Ton commentaire me touche. Tu dis l'essentiel.
Peut-être un jour j'aurai ta force
- La force de se battre toujours.
- La force d'avancer quoi qu'il arrive.
- La force d'accepter que l'on peut être heureux.
- La force d'y croire encore.
- La force de ne jamais en vouloir à personne.
- La force d'en ressortir grandi.
Aujourd'hui je suis Maman et tous les jours j'ai peur pour "mes" enfants.
Aujourd'hui je suis Maman et j'apprends à l'être jours après jours.
Aujourd'hui je suis Maman et tous les jours je pense à toi.
Aujourd'hui je suis Maman et je veux que mes enfants aient de bonnes racines pour toujours pouvoir s'élever.
Aujourd'hui je suis Maman et je suis fière de mes racines.
Aujourd'hui je suis Maman et je suis fière de toi MAMAN.
Il y a longtemps que je n'étais passée ici. Je découvre ce texte, comme l'esquisse d'une vie si dense.
Alors des bises.
Plein.
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